À propos de la recrudescence du rhinocéros haineux

En accédant à la station debout, la femelle de l'homo erectus aurait vu son temps de gestation se réduire par rapport à celui de ses ancêtres primates à quatre pattes. Tout homo sapiens serait en somme un prématuré, et par voie de conséquence le seul mammifère incapable de se mettre rapidement à l'abri des prédateurs de façon autonome. Ce handicap serait à l'origine du développement rapide de notre capacité à élaborer des stratégies d'adaptation, donc d'un cerveau capable d'engendrer la compassion, la cruauté, l'abstraction, l'asservissement comme la passion amoureuse. Mais à quoi sert l'amour ? Romantiques s'abstenir ! Le rejeton humain, ne pouvant se hisser tout seul sur le rocher afin d'échapper à l'ours, ses parents devaient se relayer afin de le protéger et pour cela vivre ensemble, se supporter, donc s'aimer. Lorsque leur progéniture atteignait deux années d'existence, l'ocytocine ou "hormone de l'amour" cessait d'être secrétée par les parents et le mâle s'en allait voir ailleurs, alors que la femelle continuait d'allaiter le chiard, toujours pas foutu de se nourrir seul. De nos jours, en France, la plupart des couples qui divorcent se séparent lorsque leur enfant a environ deux ans. Etonnant, non ?

D'accord, nos instincts animaux sont modérés par nos cultures, nos pratiques sexuelles, notre sociabilité. Il y a Jules et Jim, la tribu parfois, plutôt que le couple. Il y a la tendresse... Enfin ! On n'est pas des bêtes ! Peut-être... En tout cas, on a tous quelque chose de ce bébé prématuré qui n'arrive pas à monter sur son rocher.

Tous différents et tous parents ! La génétique nous prouve aujourd'hui qu'un Blanc est souvent plus proche d'un Africain que de Marcel, son voisin de palier. Pourtant, jamais la norme sociale n'a été aussi étouffante et discriminatoire, dans une France jacobine à en pleurer. La norme identitaire nationale est soutenue par des discours démagogiques à droite et à gauche. De façon insidieuse, elle a colonisé les esprits. La diversité des origines ethniques, des orientations sexuelles ou des situations de handicap sont l'objet d'un profond rejet, dissimulé par une grande hypocrisie. Ploucs. Bougnoules. Mahométans. Pédés. Romanichels. Tarés. Tout ce qui est minoritaire est suspect. La reconnaissance du divers est confondue avec la charité chrétienne ou la tolérance, au lieu d'être considérée comme l'essence même de la vie. Pourtant, toute évolution favorable dans la nature comme dans la société provient toujours des marges. La plante à la génétique légèrement différente de la majorité s'adaptera mieux à un refroidissement ou à un réchauffement climatique, ce qui permettra la survie de l'espèce. Le chercheur, parlant une autre langue, ayant une autre façon de regarder le monde, trouvera la solution que la majorité n'aura pas entrevue.

Le 4 septembre 2013, le vote au Parlement européen d'une motion favorable aux langues minoritaires a réuni 645 voix pour et 26 voix contre. Parmi ces derniers, 13 Français, dont Hortefeux, de Villiers, Mélenchon, Gollnisch et les Le Pen. Ceux qui s'apprêtent à voter aux municipales pour le Front de gauche peuvent-ils accepter que leur chef si médiatique s'acoquine au niveau européen avec les fachos, les souverainistes, les populistes et les ultra-conservateurs anti-européens français, néerlandais, autrichiens, roumains, hongrois, flamands et anglais ? Sont-ils indifférents à la question de la diversité ? Ignorent-ils à quel point les discriminations de tous ordres sont un frein à toute idée d'intégration, à tout projet de citoyenneté, et par voie de conséquence à tout projet politique crédible ? Ce rejet des langues régionales, tziganes ou issues de l'immigration n'est qu'une manifestation de plus du racisme et de la xénophobie ambiante, s'exprimant par un sentiment de supériorité naturelle, de Sarkozy à Valls, de l'école à la préfecture.

Si la République n'est pas capable d'accepter en son sein la diversité des cultures de ses citoyens, il n'y a plus de république. Tout politicien qui n'a pas compris cela n'a aucune espèce de crédibilité. Ces rhinocéros haineux, nostalgiques du Pléistocène, voudraient nous remettre à quatre pattes. Leurs grognements archaïques seraient assez comiques si la période se prêtait à la gaudriole. Or, plutôt que de choisir Mélenchon et ceux qui, implicitement, soutiennent sa vision nationale exclusive, le peuple s'apprête à plébisciter les candidats du FN dont l'exclusion est le fonds de commerce. Les employés de l'agroalimentaire breton en tête, sacrifiés dans l'abattoir où ils travaillaient. Merci le modèle agricole breton ! Merci les syndicats ! Merci les décideurs ! Le désastre était annoncé depuis belle lurette. Tout le monde savait. La plupart faisaient semblant de ne pas savoir, les exploités comme les profiteurs du système.

Dans les campagnes désertes et polluées, bientôt on n'entendra plus que le cri du rhinocéros haineux. Mais demain sera un autre jour. S'il y a moins d'abattoirs, il devrait y avoir à terme moins de gens abattus par des boulots de merde et des vies ravagées. A condition d'apprendre à se serrer les coudes sur le rocher, et à se garder des idéologues de tout poil, pauvres petits humains handicapés !




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Chaque jour de la semaine, l'un des chroniqueurs de Dilhad sul (dont votre serviteur), scribouillard ou dessinateur, met ses beaux habits du dimanche pour se moquer, s'émouvoir, s'indigner, partager un coup de gueule, un coup de coeur… Actu ou pas actu. Bref, on s’habille propre et on rhabille tout le monde pour l’hiver.
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