Le vin des rebelles

Gérard Alle publie, enfin, le troisième tome de sa trilogie consacrée à Lancelot aux éditions Coop Breizh. C'est une belle et bonne nouvelle. J'aime, j'ai toujours aimé chez lui, l'insolence précise, le refus d'accepter la laide main de la médiocrité posée sur toutes choses, la volonté constante de mieux faire la vie. A cette aune, Le vin des rebelles ne décevra personne. Puis Gérard Alle n'est jamais ennuyeux, il s'amuse à nous amuser. Militant d'un monde meilleur, il est exempt de toute lourdeur idéologique et promène ses bizarres héros sans lourdeur ni prêches. Mieux, sa petite musique donne du bonheur simple - celui qui fait oublier pour un temps ce que Guéhenno nommait justement " nos communes misères ". On sort de son livre tout ragaillardi, un peu confus, un peu perplexe devant le monde réel.

Alain-Gabriel Monot
Hopala ! n°33




Le vin des rebelles
Gérard ALLE
Ed. Coop Breizh, 2009, Lancelot Fils de Salaud, tome 3,
292 pages. 10 euros


"C'est moi Lancelot ! Du sang berbère dans les veines. Et un chouia de sang breton." (page 10)

Lancelot, 31 ans, s'efforce de réaliser son utopie :
"Un bistrot pour résister aux broyeurs d'humanité.
Il s'appellera L'Arbre aux chimères.
Et du vin, pour défier le temps.
Il s'appellera Kastell Armand."
(L'Arbre aux chimères, page 270)

Armand, son "conteur préféré", lui donnera "les clés du paradis".
Dix ans plus tard, estimant que Lancelot a fait ses preuves, il lui transmettra "le secret de Philomène," un secret qu'il lui fallait mériter.
Petit à petit, ils seront une cinquantaine à vivre au tour du bistrot. Une cinquantaine à vivre une belle histoire. Oui, mais voilà ! Le parti de l'ordre veille ! Il voit d'un très mauvais oeil cette "autre République", "un brin voyouse", "L'un des derniers bastions où se rassemblent ceux qui entendent résister à l'érosion générale de la fraternité", "Un groupe qui a pris le maquis dans un coin perdu, au centre de la Bretagne".

"Je commence à me prendre pour Lancelot du lac. Manquait plus que çà !" (page 53)

Foisonnant, e : adj
Qui foisonne, abondant.
Foisonner : v.i.
1 Abonder, pulluler.
2 Se multiplier, se développer.
Ex : Les idées foisonnaient.
(LE PETIT LAROUSSE ILLUSTRE)

FOISONNANT, c'est le premier qualificatif qui me vient à l'esprit, après la lecture du troisième tome de cette saga concoctée par Gérard Alle. Ce n'est pas le seul. Cette quête des origines, cette quête identitaire est une oeuvre vivante, passionnante, visionnaire, épique, picaresque, baroque.

L'auteur laisse libre cours à ses thèmes de prédilection sur l'altérité, l'intolérance, l'Histoire relue à l'échelle humaine. L'ouvrage est très solidement documenté (Il ne faut oublier que Gérard Alle - entre autres talents - est également journaliste).
Un écrivain singulier et rebelle, profondément humain qui nous présente des personnages attachants, hauts en couleur, des dialogues savoureux, de la tristesse, de la joie, de la haine, de l'amour, de l'humour, beaucoup d'humour, une très belle histoire, en fait une quête du Graal, non arthurienne, mais alléenne, tout ceci donne une oeuvre totalement originale, à consommer sans modération.

"Je vois le romancier comme un conteur", a déclaré Gérard Alle.
Gérard Alle est un sacré bon conteur !

Précipitez-vous donc sur cette "belle utopie viticole et jubilatoire !"

Petit résumé du tome 2, L'Arbre aux chimères
Lancelot, 21 ans, poursuit sa route semée d'embûches et sa chasse éperdue des fantômes.
Contrebande, petits trafics puis "expédition à Madagascar". Il y retrouve enfin son père, et il en revient apaisé.
Le temps passe. Lancelot a maintenant la trentaine. Marion et lui ont une petite fille de 7 ans déjà, Morgane. Il seconde le père Armand, qui a pris un coup de vieux, dans son bar - épicerie - boulangerie - gaz - pompe à essence. Son ami Armand. Son papa bis qui continue à lui transmettre son savoir.

Roque Le Gall
Mauvais genres - rade de Brest
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Les jeunes tiennent pas la marée !
Gérard ALLE
Ed. Coop Breizh, 2008


Léonards et bigoudens partagent le même goût pour les expressions savoureuses. Celle-ci, typiquement finistérienne, désigne la capacité à encaisser les petits inconvénients d'une grande consommation d'alcool. Autrement dit, "tient la marée" celui qui arrive à se relever du comptoir et à marcher sans tomber jusqu'à la sortie. Et la trouve, la sortie du bar. Et dit au revoir la compagnie, encore. Pour Léo-Alistair Tanguy, journaliste d'investigation d'un mètre quatre-vingt-dix aux cheveux roux et au penchant affirmé pour le beau sexe, certains impératifs ne se déclinent pas. Aussi, quand son pote Pierrot, bistrotier, est injustement impliqué dans la mort d'un mineur en coma éthylique dépassé, vient-il à la rescousse. Cela lui permettra de moissonner quelques renseignements sur les us et coutumes des environs de Kerity et de Pouldreuzic, au premier rang desquels ce monde fermé qu'est la tribu surfeur, et aussi ce monde cruel qu'est la concurrence des hypermarchés, et enfin ce monde sombre qu'est celui de l'adolescence en cette année 2017. Quelques jolies dames raviront le coeur et les sens du tendre rouquin au passage ; et quelques pauvres bougres ou vilains individus s'emploieront à casser cette belle énergie glanée dans les bras accueillants des belles. Qu'à cela ne tienne, Léo Tanguy ne se laissera pas détourner de sa mission : la vérité et son exposition au grand jour, surtout si elle indispose riches, puissants et institutions broyeuses de liberté.

Léo Tanguy fait partie de ces personnages de polar qui à l'instar du poulpe est partagé par un collectif d'écrivains qui lui donnent vie tour à tour. Huitième aventure du soldat de l'information au grand coeur, le récit de Gérard Alle se laisse lire plaisamment. On rentre avec intérêt dans ce cercle jaloux de son indépendance qu'est celui des surfeurs de la côte sud du Finistère. Pas de bling bling, on n'est pas à Biarritz où tout le monde il est beau, il est bronzé. Ici il faut avoir un minimum de tripes et un maximum de passion chevillée au corps pour s'aventurer (même avec une bonne combinaison) dans les eaux glaciales de l'hiver bigouden. Cela écarte d'emblée les fils à papa friqués, minets à Ray-Ban qui courent le spot de rêve aux quatre coins du monde. On assiste aussi à la rivalité délétère qui oppose les deux patrons de supermarché locaux. Un peu plus et les turpitudes morales des deux individus ne dépareraient pas dans le Bronx. Léo Tanguy est quant à lui attachant, grand coeur tendre et tête de mule. Il donne envie de voir les autres tomes de ses aventures pour faire plus ample connaissance. Un bon cru.

Marion Godefroid-Richert
Mauvais genres - rade de Brest
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Les jeunes tiennent pas la marée

Avril 2017. Léo Tanguy est cyber-journaliste. Son site d’infos sur Internet accueille beaucoup de visiteurs. Cette fois, c’est en pays Bigouden qu’il mène l’enquête. Le jeune Erwan Le Sourn a été retrouvé mort sur la plage de Pors Carn. Pierrot, ami bistrotier de Léo, risque de se voir accuser d’avoir servi de l’alcool à Erwan, mineur, bien que ce soit faux. Léo s’informe dans les bars du secteurs, et s’intéresse aux surfeurs fréquentant la Pointe de la Torche. Si Nora et sa mère se montrent aimables, ce n’est pas le cas du jeune Clet, le copain de Nora. Celui-ci a témoigné contre Pierrot. Quant au père d’Erwan, le notaire Le Sourn, il refuse de parler à Léo.
Concernant l’alcoolisme chez les jeunes, la presse accuse les bistrots. C’est trop vite oublier qu’ils se fournissent ici chez Toujourplus ou Interclair, les grandes surfaces locales. Nora admet qu’ils font un mix à base de soda Poplar, auquel ils ajoutent un peu de dope, le kouign. Un Américain bizarre qui rôde dans sa voiture électrique jaune est le fournisseur de la drogue de synthèse. Avec ses manières détestables et son agressivité commerciale, Le Gall, patron de Toujourplus, déplait fortement à Léo. Il s’attaque un peu à lui sur son site Internet. Si Hascoët, de directeur d’Interclair, semble plus régulier, il n’est pas le dernier à magouiller.
Léo secoue Clet, qui avoue son faux témoignage contre Pierrot, mais se dit étranger à la mort d’Erwan. Selon le rapport d’autopsie, la victime a pourtant ingurgité des produits dangereux. Sans doute Le Gall a-t-il aussi avalé trop de dopants, car il prend en otage sa secrétaire Karine, amie de Léo, et son concurrent Hascoët...
Ce héros rouquin de 42 ans, reporter non-conformiste qui se balade dans le vieux Combi de ses parents, s’avère plutôt sympathique. Il s’intéresse autant au décès suspect qu’au contexte sociologique de l’affaire. Les cas de comas éthyliques chez des jeunes s’inspirent de faits récents. Si l’action se déroule dans près de dix ans, c’est que notre monde évolue vers pire qu’aujourd’hui, toujours plus cynique. La guerre commerciale s’annonce plus féroce encore, on le voit ici. Un peu d’humanité ne saurait nuire, à l’avenir. Notons quelques souriants clins d’œil, à un trader bigouden qui fit scandale, et à la célèbre héroïne de Jean Failler – devenue commissaire – Mary Lester. Une aventure palpitante, pour un nouveau personnage auquel on souhaite longue vie.

Les lectures de Claude Le Nocher
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La fugue de l'escargot
Gérard ALLE

Ed. Les Contrebandiers, 2004,
Premier volet de "Lancelot fils de salaud",
trilogie en cours de publication.


Enfant, Lancelot - le narrateur - ne sait pas grand-chose de ses parents, mais il est bien conscient que sa mère ne l'aime pas. C'est adolescent qu'il commence à lever le voile et commence à entrevoir l'histoire familiale, découvre dans sa lignée, outre un paysan breton meurtrier et une petite frappe bordelaise, un grand-père pour le moins atypique...

En 1920, Morvan, le grand-père de Lancelot, agent de renseignement français, Breton d'origine, s'installe dans le Haut-Atlas occidental, en plein pays berbère, sur le territoire de la tribu des Ida ou Tanan. Il participe, avec ses idées reçues mais aussi ses contradictions de Breton à l'identité flouée, à la "pacification" du Maroc, se frotte à l'identité berbère et finit par sérieusement douter des prétentions humanistes et universalistes de la France coloniale. Il apprend le tachelhit, la langue berbère du Sud du Maroc, épouse Zahra, la fille d'un résistant du village de Tamarout. Sa vie et celle de ses descendants s'en trouveront à tout jamais bouleversées. Ensemble, ils formeront un couple pour le moins chaotique qui sera victime, en 1961, du terrible tremblement de terre qui va ravager Agadir.

Premier volume d'une trilogie à paraître dont on pourra lire les trois volets indépendamment les uns des autres. L'action se déroule en bonne partie dans le sud du Maroc, en plein pays berbère et propose une quête des origines, une quête identitaire. Elle convie le lecteur à remonter le temps, à prendre une part active dans une enquête qui mêle à plaisir réalité historique et imaginaire, et conte une forme de saga familiale fortement marquée par les non-dits, les crises et les secrets de famille... Lancelot sera-t-il le dernier des salauds ou bien parviendra-t-il à briser le cercle infernal dans lequel ses aïeux se sont englués ?... Le livre est solidement documenté, sur l'identité berbère tout particulièrement, ainsi que sur l'histoire du Maroc et de ses minorités indigènes. Il est sans doute largement inspiré des voyages que Gérard Alle a effectués en pays berbère. Beaucoup d'humanité, en plus de l'humour acerbe dont l'auteur joue avec justesse, ravive encore l'intérêt du roman. Lancelot, fils de colons, est un héros tout à la fois décalé et curieux qui veut tout savoir de l'histoire dont il est issu. Un ton volontairement désinvolte, parfois cynique, de belles descriptions et des dialogues savoureux donnent encore plus de force et de cohésion à l'histoire et la rendent d'autant plus passionnante.

Bref, un livre réussi dont on attend la suite avec impatience.

MGRB
Mauvais genres - rade de Brest
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La fugue de l’escargot

Deux tranches de vie sont racontées en parallèle.
Lancelot a 15 ans. Il s’enfuit de Bordeaux, où il a été élevé entre sa mère Simone (née Fatima) et le couple Pineau (Tonton et Tatie). Il n’a guère connu son père. Il sait avoir des origines en Bretagne. Ayant un plan en tête, il se dirige vers cette région. Armand, bistrotier chaleureux, l’y conduit et l’accueille durant quelques jours.
Dans les années 1920, le lieutenant François Morvan accepte une mission au Maroc. Il s’agit d’infiltrer les tribus berbères Ida Ou Tanan, rebelles à la colonisation. Il s’installe à Tamarout. Il s’y adapte, apprenant le dialecte tachelhit, observant la population pour ses rapports (fiches de tribus), entretenant de bonnes relations avec le chef local, l’amghar Aït Ouacho.
Lancelot se fait passer pour Loïc, le fils disparu de la famille Arzur de Langonnet (56). Trop heureux de son "retour", ils ne doutent pas de son identité. Sa "sœur" Marion n’est pas dupe. Mais, entre eux, nait une complicité amoureuse. Yves, le grand-père de Marion, se souvient de l’histoire de François Morvan, auquel Lancelot ressemble tant physiquement.
Les années passent. Pour chasser le fantôme qui le hante, François veut épouser la jeune et tentatrice Zahra. Il ne devient pas un vrai Berbère. Mais, quand la France envisage d’attaquer les tribus rebelles, il gagne du temps et négocie avec succès...

C'est le premier tome de la trilogie "Lancelot, fils de salaud". Il s'agit d'un roman riche et ambitieux. A travers les générations, ces mystérieux secrets de famille sont plus forts que beaucoup d’énigmes criminelles ou de romans noirs. L’image idéale d’aïeux, glorifiés par le temps comme des braves gens, peut s’avérer plus grise. Leur vie a influé sur celle de leurs descendants. C’est le cas pour le jeune héros. Ici, pas de mélo, plutôt de la mémoire. Les références historiques sont précises et justes. Sans oublier l’aspect humain du récit. Ce roman remarquable confirme le talent de Gérard Alle.

Les lectures de Claude Le Nocher
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L’arbre aux chimères

Adolescent, Lancelot Morvan avait fui la région bordelaise pour retrouver ses racines bretonnes. Les traces familiales n’étaient pas toutes glorieuses. Mais il rencontra le vieil Armand, patron d’un bistrot d’habitués en Centre Bretagne, père de substitution. Et puis la jeune Marion, qui lui offrit son amour.
Lancelot a maintenant 21 ans. Il vit avec Marion, et reste fidèle à l’amitié d’Armand. Sans certitude pour l’avenir, Lancelot traficote. Il doit parfois ruser avec les douaniers, jouant les naïfs. Il abuse de la bibine. Un braquage stupide lui rapporte un beau butin, qu’il dépense en se saoulant. Mal dans sa peau, Lancelot sait que Marion ne tolèrera pas longtemps ses frasques. Il reste rongé par la haine d’un père qui l’a abandonné. Avec Armand et ses copains, il reconstitue la généalogie de sa famille maudite. Le suicide par pendaison de son ancêtre Hippolyte démontre que l’histoire des Morvan fut tourmentée.
C’est à Madagascar que vit son "salaud de père", François Morvan. Lancelot se rend à Diégo Suarez, où son géniteur tient une boite de nuit. Il a emporté un poignard appartenant à Tonton-Tatie, les gens qui l’ont élevé. Bien que sensible au charme malgache, Lancelot n’a qu’une idée en tête : supprimer au plus vite ce père détesté. Affaibli par la maladie, François Morvan ne veut rien expliquer à son fils. C’est Lancelot qui raconte ce que fut l’univers de leurs aïeux au 19e siècle. Sa quête de mémoire implique-t-elle de tuer ce père passif ?

Après "La fugue de l’escargot", voici la deuxième partie du cycle "Lancelot Fils de salaud", qu’on peut lire séparément. Lancelot côtoie toujours les fantômes du passé, dans ce puzzle qu’il reconstitue pour se forger une identité. S’appuyant sur des faits historiques concrets, il dessine un portrait véridique de ses ancêtres. Présenté sans concession, ce héros est aussi imparfait que ceux dont il est l’héritier. La rage qui l’anime s’atténue lentement. Pas d’illusoire nostalgie d’un bonheur perdu dans cette noire saga. Teintée d’amertume, avec néanmoins quelques sourires, la narration est aussi intense qu’entraînante. D’une admirable justesse, ce roman possède une force certaine.

Les lectures de Claude Le Nocher
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Il faut buter les patates

On est loin des bagadou, des festou-noz et des ajoncs en fleur. La Bretagne, ici, est grise et noire, couleur des ardoisières en faillite et de la campagne boueuse où quelques paysans tentent de survivre. « Campagnes concentrées. Poules entassées. Cochons hallucinés. Consciences concassées. Grands festivals d’illusions contre petits bistrots qui s’essoufflent... Faillites retentissantes ou épidémies salutaires ? » Décidément, la vie à la campagne n’est plus ce qu’elle était ! C’est bien de survie qu’il est question ici, et pas seulement de celle d’un paysage ou d’une petite paysannerie dévorée par les fédérations ou les grands groupes alimentaires, mais de l’espèce, quand les empoisonneurs font la loi. Un bon polar fermier, bien noir, en prise directe avec des problèmes tristement d’actualité, avec tout de même une petite éclaircie à la fin, entre deux grains.

Gérard Meudal
Le MONDE

 

Il faut buter les patates
Gérard ALLE

Ed. Baleine, 2000, coll. Ultimes


Le fils du roi du cochon, Tristan Cloarec, se marie avec la fille du roi du poulet, Karine Bourgeois. En fin de soirée, un hangar est incendié. Le premier acte de terrorisme du FLP, le Front de libération du Ploukistan, en guerre contre le lobby régional de l'agro-alimentaire.

On ne cherchera pas dans le bouquin de Gérard Alle une enquête titillante, au suspense écrasant. Pas de Maigret, de "Bon Dieu mais c'est bien sûr" ou encore de poursuite fracassante dans les rues de L.A. Comme l'annonce la première page, il s'agit là d'un polar fermier, d'une enquête sociale et champêtre dont la qualité réside en grande partie dans la description d'un milieu. Et c'est son fort, à Gérard Alle : hors des romans, l'auteur réalise des documentaires basés sur des rencontres et témoignages. La campagne décrite ici n'est pas franchement drôle : inondations, chômage et champs abandonnés font partie du paysage.

On trouve dans ce roman des personnages bien campés comme l'Acteur, avec une majuscule, bien sûr, qui se la pète grave devant les bouseux, ou encore Raymond Cloarec, maire depuis cinq mandats, propriétaire du plus gros élevage de porcs du canton, mais aussi de la coopé, le plus gros employeur du coin. Face à eux, des petits paysans à l'avenir bien sombre, comme les parents de Michel, pour lesquels la première crise du porc a sonné la fin : maison en ruine, banque qui refuse de prêter... Des paysans nostalgiques du temps où les vaches avaient un nom et pas un numéro et où "le monde se faisait au comptoir de l'estaminet". C'est le combat de la mafia productiviste contre le petit agriculteur. Un David contre Goliath, version champêtre.

Coté David, on pourrait se croire en présence de vrais losers : on enlève le baron du porc en voiturette sans permis, on utilise des cagoules sous lesquelles le premier passant vous reconnaît, on boit du rouge étoilé à l'heure de l'apéro, un truc genre Père Joseph qui laisse sur le palais un goût délicat qu'on ne saurait dénicher ailleurs ! Autant dire que l'on est loin de Quantum of solace ! Mais ils sont plutôt sains, ces gars-là, qui refusent le productivisme agricole ou la magouille de gros éleveurs possédant plus de 1000 truies dans une exploitation dans laquelle seules 620 sont autorisées. Des opposants qui se retrouvent dans une vraie communauté de babos à Ker Belen, où que ça sent la crotte de chèvre, le "Gardarem lou Larzac" dans toutes les roulottes et l'omelette aux champignons pas que parisiens. A leur tête, Bonbon le baba, un cool de cool comme on se l'imagine avec plaisir.

Le début du livre est assez lent, mais met bien en place le décor. Puis le rythme s'accélère : incendie de grange, torture du roi du cochon (dans sa version champêtre : immersion dans un océan de purin), assassinat d'opposant (version champêtre également : par écrasement dans une trémie à grains et transformation en granulé pour cochon : faudrait en parler à Son Altesse Sérénissime).

Le ton est fort loin du politiquement correct : on retrouve ainsi la célèbre (mais peut être pas la plus subtile) réaction de Cocteau envers un admirateur béat qui susurre "Un ange passe", l'écrivain répliquant "Qu'on l'encule !" L'auteur nous livre également un scoop, suggérant que Céline Dion "pue des arpions" !

Gérard Alle est un fin connaisseur de la Bretagne : il sait que le passage d'un bagad ne peut que provoquer une vraie "érection pileuse" : Brestois, nous confirmons cette information d'anatomie locale, par un comportement pileux très particulier chez les indigènes et autres touristes assistant à la descente de deux cents sonneurs au printemps dans la rue Jean Jaurès ! Mais Gérard Alle est aussi un militant qui connaît et dénonce les travers de la mafia productiviste : grippe aviaire, farines animales, revente de poulets à la dioxine... Des questions qui résonnent encore dans nos cerveaux de consommateurs : l'angoisse de la grippe hivernale est proche. Un José Bové du polar, puisqu'on vous le dit !

J'ai bien aimé ces querelles de clocher entre éleveurs et écolos. Ce polar à la Don Camillo et Peppone est court, se lit facilement et avec plaisir.

Mais voilà, il me semblait que c'était plutôt les poireaux que l'on buttait dans la version jardinière du verbe. Et bien non, les patates aussi :

http://www.eco-bio.info/forum/upload/topic/1924-mes-amies-les-patates/
http://www.aujardin.org/dois-butter-mes-pommes-terre-t38786.html

Marc Suquet
Mauvais genres - rade de Brest
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Les papys féroces

Il s’agit d’un recueil de trois romans courts.

"Bartali zig-zag" : Ancien cheminot, Lucien n’est pas de ceux qui idéalisent le passé. Sa fierté, c’était les courses cyclistes. Il n’en a gagné qu’une, dans des conditions bizarres. Dans la vie comme sur un vélo, son ennemi de toujours, c’est M.Rolland. Ils sont voisins, et encore rivaux. Bien que sa mémoire faiblisse, Lucien profite de toutes les occasions de s’amuser. Bien moins sagement que ses amis Raymond et Jeannette. Surtout, il reste obsédé par une idée : prendre sa revanche sur M.Rolland, pour une fois. Un concours offre son heure de gloire à Lucien...

"Maurice la Prune" : Gendarme retraité, Maurice a 82 ans. Il occupe son temps en creusant une cave à vins, ce qui fait râler sa femme. Le banquet de la Sainte-Geneviève, patronne de la gendarmerie, est pour lui l’occasion de repenser à sa carrière, pas si brillante. Il a toujours été une peau de vache, champion des contrôles biniou. Jeune gendarme, il avait subi une mutation disciplinaire dans la Meuse. Il ne sut jamais vraiment pourquoi. Heureusement, un supérieur l’a “sorti du formol”. Ce soir, l’abus de boisson aidant, il comprend enfin la raison absurde de cette disgrâce...

"Momo nique la mort" : Monique décida de vivre librement la seconde moitié de sa vie. A bon prix, elle liquida son restau routier, oublia son mari Marcel, s’éloigna de son trop calme fils Jean-Pierre, surmonta un cancer, se passionna pour les romans policiers. Même quand on est actif et libre, le temps passe. A 75 ans, elle rêve d’une mort violente. Le jeune cambrioleur qui l’agresse n’est pas assez dangereux. Elle lui raconte sa vie, le provoque, le menace. Cet épisode restera une belle rencontre. Les années s’écoulent sans qu’aucun assassin ne se manifeste...

Gérard Alle éprouve une tendresse sincère pour les “petits vieux”, dont le vécu n’a parfois pas été si lisse, si clair. Il sait que la vie recèle des zones d’ombre, des expériences moins agréables, des choix mal compris. C’est ce qu’il traduit à travers ces trois courts “romans gris”. Lucien, Maurice et Monique sont bien moins raisonnables que leur couple d’amis, Raymond et Jeannette. Beaucoup plus drôles et attachants, aussi. Ces portraits sont véritablement réjouissants : trois caractères assez différents mais aussi insolites, présentés sur un ton enjoué et complice. Des héros du quotidien, comme on les aime. Avec un petit hommage à Harry Whittington, en prime. Un bonheur de lecture !

Les lectures de Claude Le Nocher
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Coup de cœur Télérama :
Un air à faire pleurer la mariée

Editions de la Baleine-Le seuil, 2000

C’est un monde au bout du bout du monde, dans un Middle West sauvage : le centre de la Bretagne. Loin de la mer, de « la côte » si belle et si carte postale, la campagne, la vraie, que l’on dit profonde, explose, souveraine. De bon matin, les tracteurs font « pop-pop-frr » et les lapereaux « du jogging avec leur maman ». Dans ce décor faussement idyllique, on tient les drames en sourdine à coups de jolie bibine. La collection « Velours » des éditions Baleine impose comme trame une histoire d’amour. Gérard Alle remplit son contrat avec une amourette plutôt sympathique. Mais elle n’est que prétexte. Le romancier raconte avant tout son coin de pays et ses gens. Le Dédé, paysan toujours pas marié, et sa mère « qui a l’œil », sa bande de copains abonnés à l’apéro, des bras cassés experts aux boules mais lents au boulot. Depuis « l’avènement du RMI », ils rechignent à « s’esclavager » découpeurs de dindes ou ramasseurs de poulets la nuit. Puis, un jour, débarque Isabelle, cousine de Dédé, dite « la Parisienne ». Elle va mettre le feu aux souvenirs enfouis, aux silences trompeurs, et réveiller ce pays où coule le canal de Nantes à Brest, où se nichent des bourgs aux noms fictifs et riants – Keramour, Kerchopine ou Kernaze -, où l’on est maire de père en fils, où l’on roule en mob parce que le permis s’est envolé un soir de tempête alcoolisée...
Gérard Alle raconte son petit monde avec beaucoup d’amour : elle est là, l’intrigue sentimentale. Homme de terrain (ou de terroir), journaliste, il a puisé son inspiration en arpentant les bois... et les bistrots : ses personnages, brossés sur le vif , sont plus vrais que nature et simplement attachants. Il dédie ce premier roman « à tous les lecteurs de Nekepell », un hebdo qu’il anima là-bas entre 1996 et 1997. Mais 3000 lecteurs, ce n’était guère suffisant... Souhaitons qu’il en déniche quelques autres avec ce roman.

Martine Laval
Télérama

 

Un air à faire pleurer la mariée
Editions de la Baleine-Le seuil, 2000

Une femme revient dans sa Bretagne natale pour assister au mariage de sa sœur. C'est le point de départ de l'histoire qui nous conduira dans la Bretagne rurale, à la rencontre de quelques caractères singuliers, de vieilles histoires jamais enterrées, de secrets enfouis au plus profond des cœurs. ?Ce roman se lit avec plaisir, l'auteur ayant laissé sa plume jubiler sans contrainte. Mais le ton léger ne gâche en rien cette peinture d'un coin de France empêtré dans ses contradictions, balançant entre tradition et modernité, entre modernité et agonie.

Claude Le Nocher
Bibliopoche

 




BREST, L'ANCRE NOIRE
Autrement, Littératures / Romans d'une ville, 2003

Recueil de nouvelles, dirigé par Gérard Alle.
(...) Un homme est mort de Gérard Alle. Hassan, le marchand de frites évoque avec un client un vieux faits divers. Mick, l'alcoolo excité, n'avait jamais connu son père, militant rouge. Il espérait le voir dans un court film de René Vautier. Mais Abiven, qui retrouva la bobine disparue, la vendit à un autre. Mick le tua, avant de venir menacer l'acheteur. Il le visionnèrent : ce n'était pas le bon film. Mick étant armé, l'homme dut se défendre… Documenté et original dans sa narration, ce texte réussi est très convaincant.

 




BABEL OUEST
de Gérard Alle, traduit en Breton par Stefan Moal

Si ce volume du Poulpe est épais, c’est parce qu’il est un livre bilingue : langue française et langue bretonne, la formule est plus opportune que français et breton. Il se peut qu’il n’y ait qu’une langue dans la région bretonne (cela mérite confirmation), mais en tout cas il y en a plusieurs sur le territoire métropolitain.
Si ce livre est bilingue, c’est qu’il a pour thématique centrale la question des langues, de leur légitimité et surtout de la légitimité politique et culturelle d’une régulation par un Etat centralisateur. Si on parle d’une langue, on parle aussi des décors, des lieux où elles sont parlées, donc de l’histoire de ces lieux. Et on parle évidemment aussi des personnes qui pratiquent ces langues, de l’histoire des peuples. Somme toute : rien que du politique. Tous les pays du monde ont une langue unitaire, et pratiquement tous ces pays ont fait de cette langue unitaire une langue majoritaire. Cette jacobinisation a aussi conduit à la constitution de minorités régionales, linguistiques, puis ethniques, voire migratoires. Revendiquer la pratique d’une langue ne doit pas forcément se percevoir comme idée régionaliste ou nationaliste.
C’est le point de départ de cette aventure du Poulpe, la mieux politisée depuis plusieurs volumes, une des plus intéressantes de ces derniers mois. Les faits se passent pendant le festival de Douarnenez, qui est un festival de cinéma portant sur les minorités. Sont alors présents dans la ville des habitants et des visiteurs, qui tous ont à souffrir ou à éprouver un combat de reconnaissance politique par leur Etat, économiquement ou humanitairement. On y trouve des militants de la langue bretonne qui ferraillent avec des adeptes de la jacobinisation, mais on y trouve aussi des tenants d’un autre extrême des combats de minorités : l’intégrisme. Ici, l’intégrisme vient d’Algérie. Car l’épaisseur du propos ici mis en scène est d’évoquer plusieurs minorités de langues ou de culture (bretonne, kabyle, palestinienne, maori). De même que sont mis en parallèle la langue, la religion, les symboles, pour mieux parler des manipulations à tous niveaux, dans quelque pays que ce soit.
Ces thèmes politiques, de civilisations, de religions, sont bien passionnels. De plus, c’est ici un épisode du Poulpe, il y est donc question de fidélité et d’aventures diverses comme dans beaucoup des aventures de ce héros, aventures durant lesquelles le narrateur changera à plusieurs reprises. L’affaire est donc rondement menée. Sexe, amour, religion, relation au pouvoir : tout cela est bien passionnant, et nous donne à lire ici un brillant épisode.

Hubert Artus