Il
poussait des cris d’Onfray
"La
langue régionale exclut l'étranger, qui est pourtant
sa parentèle républicaine. Elle fonctionne en cheval
de Troie de la xénophobie, autrement dit, puisqu'il faut
préciser les choses, de la haine de l'étranger,
de celui qui n'est pas "né natif" comme on dit (...)
Parler l'anglais, même mal, c'est parler la langue de l'Empire.
Le biotope de l'anglais a pour nom le dollar (...)
L'espéranto propose d'habiter une langue universelle, cosmopolite,
globale qui se construit sur l'ouverture, l'accueil, l'élargissement
; elle veut la fin de la malédiction de la confusion des
langues et l'avènement d'un idiome susceptible de combler
le fossé de l'incompréhension entre les peuples
(...)" Michel Onfray
Il est toujours épatant de constater que même les
plus grands érudits peuvent dire des bêtises. Ça
rassure un peu. Même s’il est vrai que les propos tenus
par Michel Onfray, dans le journal Le Monde en date du 11 juillet
2010, sont d’une telle incurie qu’en regard, n’importe quelle
brêve de comptoir semble un pur chef d’œuvre. Au fait, le
philosophe avait-il bu, lorsqu’il s’est mis à taper frénétiquement
sur son clavier pour composer cette diatribe contre les langues
dites "régionales" ? C’est possible. Il concède
d’ailleurs l’existence de quelques libations avec des amis corses.
Mais quand un ivrogne profère des paroles obscènes,
on est en droit de lui répondre, tout de même ! Car
l’alcool n’excuse pas tout. Ainsi donc, d’après l’Onfray,
la langue corse ou la langue bretonne ne seraient que conglomérats
de dialectes, uniquement destinés à exprimer le
"local", forcément utilisés par des gens
stupides et bornés, et haïssant "l’étranger".
Hips ! Faut-il rappeler à ce philosophe titubant que toute
langue non enseignée est vouée à la dialectalisation
- ce fut le cas du corse et du breton lorsque la France interdisait
leur enseignement - que le françois du philosophe fut jadis
le patois du roi et de sa cour, et que si ce roi avait été
corse ou breton, il aurait pu imposer son propre dialecte comme
langue officielle du pays. Beurk ! Quelle horreur ! De quoi faire
monter chez l’Onfray la vomissure au coin des lèvres. Pour
sa gouverne, nous pouvons conseiller au philosophe visiblement
peu au fait du sujet de consulter quelques historiens (cf traité
de Villers-Cotterêts), linguistes (à propos de l’origine
des langues), écrivains (il en est qui écrivent
non seulement en breton et en corse, mais aussi en indi, en ouïgour,
en basque, en quetchua, en ubik, en assyro-chaldéen, et
même en aroumain, en créole et en romani ! Les habitants
de cette planète sont assez abrutis et "communautaristes"
pour parler à peu près 6000 langues différentes.
Incroyable, non ? Pourquoi ne se contentent-ils pas du français
et de l’esperanto ? Et d’ailleurs, pourquoi y a-t-il tant d’étrangers
dans le monde. Dans un éclair de lucidité, l’Onfray
en goguette aurait pu éprouver quelques regrets d’avoir
été aussi loin dans la promotion de l’esperanto.
Il aurait pu sentir le sol natal se dérober sous ses pieds,
ne serait-ce qu’en se demandant si le français pouvait
être encore considéré comme une langue universelle.
Hips ! Faudrait peut-être voir à pas aller trop loin...
On sent alors le philosophe de salon se raidir : l’anglais, l’anglais...
parlons-en, un baratin d’aéroport, alors que le français,
hein ! quel style, n’est-ce pas ? Quelle classe ! Le français,
c’est pas du local xénophobe qui sent le fumier ! La France
est le pays des droits de l’homme et tout le monde y est gentil,
personne n’y est xénophobe, ni antisémite, ni homophobe,
c’est bien connu. Hélas, l’Onfray tombe dans le coma éthylique
avant d’avoir abordé le moindre raisonnement sensé
en la matière. Il s’endort sans avoir compris que chaque
langue exprime une façon de penser, un génie propre,
porte sa propre universalité, offrant, non seulement à
ses locuteurs, mais à l’ensemble des êtres humains
une ouverture, un regard, une intelligence du monde... Même
le corse et le breton, alors ? Ben oui, grand nigaud ! Et si l’esperanto
peinait justement à exprimer les affects, échouait
à exprimer cet aller-retour incessant qui fait de tout
homme un "local" aspirant à l’universel ? Apparemment,
l’Onfray ne se rend pas compte à quel point son opinion
fleure le camembert frelaté et le pot-au-feu tourné.
Pauvre philosophe qui ne supporte pas l’alcool, cette drogue de
la vulgate... Sait-il que l’on peut vivre selon certaines coutumes,
parler une langue, et même défendre une façon
de penser sans être nationaliste ? Peut-il seulement l’imaginer
? Car derrière ces propos éthyliques se cache quelque
chose de beaucoup plus grave. En défendant ce bastion fermé
à toute forme d’expression différente de ce qu’il
estime être la norme, ledit Onfray perpétue cette
volonté d’exclusion qui est bien une maladie "nationale",
en France. Jadis, on y stigmatisait les Bretons ou les Auvergnats,
"émigrants de l’intérieur". Ce fut aussi
le cas des Juifs, des Sourds et Muets, des Arabes, des homosexuels,
des Romanichels. Et j’en passe. L’Onfray, sans doute, s’enorgueillit
de ne faire partie d’aucune minorité. Dommage ! Cela lui
aurait sans doute apporté cette ouverture d’esprit qui
n’est pas la qualité première des franchouillards,
surtout lorsqu’ils ont la gueule de bois. Qu’ils soient philosophes
ou pas. A moins que tout cela ne soit feint. Que l’Onfray ne parle
pas sous l’empire de l’alcool, mais en toute connaissance de cause,
qu’il ait bien lu les historiens, les linguistes, les écrivains
"étrangers" et que, drapé dans ses pseudo-certitudes
ethnocentrées, il occulte sciemment un certain nombre de
choses. Et là, on pourrait se demander pour quelle raison.
Pour défendre son pré carré ? Se sentirait-il
menacé par la diversité, le cosmopolitisme, la créolisation
du monde, et en premier lieu de sa chère France ? En tout
cas, cela saute aux yeux : avec ses idées toutes faites
et sa cour béate d’admiration, l’Onfray est bien un adepte
du repli sur soi. Décidément, le communautarisme
le plus borné... ne s’observe véritablement que
dans le microcosme constitué par ceux-là même
qui n’ont de cesse de le dénoncer.