Gérard Alle est né entre Noël et le premier
de l’an 1953, à Bègles, dans la banlieue de Bordeaux.
L’accouchement a lieu à la maison, chez les grands-parents
paternels, Auvergnats d’origine, qui communiquent le plus souvent
en langue d’Oc, “pour que le petit ne comprenne pas”.
Sa mère est native de Spézet, en Bretagne intérieure.
Sa langue maternelle est le breton, mais elle parlera français
à son fils.
L’influence
de Perrine
Dès son plus jeune âge, Gérard passe ses grandes
vacances à Spézet, chez la grand-mère maternelle,
Marie-Perrine Diraison, qui ne parle que le breton. Fille de conteur,
paysanne pauvre, contrainte à servir dans les fermes, cette petite
femme énergique porte la coiffe du Poher, chante et raconte de
formidables histoires qui frappent l’imaginaire de l’enfant.
Fils unique, Gérard s’invente quantité de camarades
de jeu virtuels, héros d’aventures extravagantes. À
l’âge de quatre ans, il passe son temps debout sur une chaise,
à regarder les arbres au bout de la ville, par la fenêtre
du huitième étage de la caserne des pompiers de Bordeaux,
où travaille son père. À sa mère, qui lui
demande ce qu’il observe ainsi, il répond sans hésiter
: “la Bretagne...” Sa religion est faite. Dès sa
majorité, en 1973, il rejoindra Spézet. Il habite d’abord
Menez-Kamm, manoir mythique où la Bretagne invente sa première
révolution culturelle. C’est l’époque d’Alan
Stivell, de l’essor des festoù-noz, des rencontres innombrables,
des revendications politiques et écologistes, l’effervescence
des années soixante-dix, le retour à la terre.
Tous
les métiers
Reçu à un concours de contrôleur des Postes (après
avoir été facteur à Bordeaux), il s’apprête
à partir pour Paris, passage obligé. Mais la voiture refuse
de démarrer. Et le décide à rester. La passion
pour l’écriture est déjà forte. Gérard
lit beaucoup jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans.
Il ne s’exprime par écrit que dans l’intimité
de quelques poèmes ou relations épistolaires, des ébauches
de romans. Car le désir premier est de vivre dans ce rude pays
du Centre-Bretagne, où l’on ne fait pas toujours ce que
l’on veut, mais qui attire les utopistes, dégage une identité
très puissante, et distille des moments d’intensité
totalement surréalistes. Pour cela, Gérard Alle est prêt
à tout. Il sera tour à tour représentant en cheminées,
dessinateur de fusains qu’il vend sur les marchés, docker
sur le port de Concarneau, travailleur clandestin dans le bâtiment,
ouvrier saisonnier pour le ramassage des betteraves dans le Nord, céramiste,
pizzaiolo, restaurateur, et enfin boulanger. Il construit un four à
pain et devient le premier en Basse Bretagne à fabriquer du pain
biologique cuit au feu de bois. L’écriture reste en filigrane,
par l’accumulation d’impressions, à travers tous
les mondes, les métiers explorés. Il a également
remarqué que ses lettres bien torchées lui permettent
souvent de rattraper les filles, quand elles veulent le quitter. Quelque
chose à creuser. Les moments forts entrent en mémoire,
se racontent et se patinent, dans l’attente d’une ouverture.
Un jour, il écrira des livres ; il n’en doute pas...
Le
théâtre
La boulangerie laisse pas mal de temps libre. Gérard Alle en
profite pour faire du théâtre. En amateur, d’abord,
puis en professionnel. En 1991, il abandonne définitivement le
pain, pour monter des spectacles, animer des ateliers, mettre en scène.
Une douzaine de spectacles verront le jour, dont l’opéra-vélodrame
“L’Émir de Langoëlan”. Trois ans plus
tôt, Gérard Alle avait signé la mise en scène
du « Retour du Kaolmoc’h”, un canular gigantesque,
réalisé avec la complicité de la fine fleur des
musiciens bretons. Mais il se lassera du monde du spectacle, de la recherche
de subventions, de l’aspect administratif, et de la difficulté
à construire quelque chose de durable dans ce domaine, en milieu
rural. Cependant, l’apprentissage de la construction du personnage,
et de la dramaturgie, lui imposeront plus tard la présence de
l’image et de l’action au cœur même de l’idée
d’écriture. Les livres qu’il lit alors sont plutôt
des essais et des livres d’histoire.
L’engagement
Suivent des années d’engagement dans la vie associative,
et pour le développement du Centre-Bretagne. De Spézet,
Gérard Alle est passé à Saint-Hernin, puis à
Glomel, à Rostrenen, et enfin à Mellionnec, où
il a acheté une maison avec Marie, sa compagne pendant vingt-deux
ans, et est devenu conseiller municipal. Ras le bol du “yaka”
! Pour ne pas passer son temps à râler contre les élus,
pour voir comment le pouvoir s’articule de l’intérieur,
Gérard Alle s’investit. Au sein du Galcob (Groupe d’action
local du Centre-Ouest-Bretagne), il crée une commission culturelle
dont il devient le président, siégeant au Conseil d’administration,
en compagnie des conseillers généraux et des maires, imposant
l’idée qu’une zone rurale comportant plus de cent
mille habitants devrait pouvoir bénéficier des mêmes
moyens de développement culturel qu’une ville de même
importance. Décentralisation. Subsidiarité. Autonomie.
L’Europe apporte des fonds. Et l’État français
déçoit. La réflexion sur le développement
local amène naturellement Gérard Alle à se poser
la question de l’information, dans ce Centre-Bretagne divisé
artificiellement entre trois départements. Avec un groupe de
copains, il crée en 1996 l’hebdomadaire Nekepell, dont
il est le rédacteur en chef. L’écriture devient
son quotidien. Entre les articles et les éditoriaux qu’il
rédige, plus la correction des copies des correspondants locaux,
pas le temps de mollir. Il apprend à écrire vite. Désormais,
il sait aussi pourquoi il écrit.
Du
journal au roman
L’expérience du journal se termine en 1997, pour des raisons
financières, mais aussi parce que certains le trouvent trop mordant.
Il est vrai qu’un hebdo populiste, dirigé par le président
du festival des Vieilles Charrues, futur maire de Carhaix, a raflé
la clientèle. En Centre-Bretagne, les ambitions personnelles
et le fatalisme ambiant ont gagné. Pour un temps. Jean-Bernard
Pouy, l’écrivain de polars, le père du Poulpe, qui
était lecteur de Nekepell, propose à Gérard Alle
d’écrire un roman dans la collection Velours, qui se met
en place aux éditions Baleine. Un roman d’amour social,
pas à l’eau de rose, dans la veine du roman noir. Son rêve
d'écriture se réalise enfin. Le bouquin est bien reçu,
avec un coup de cœur dans Télérama. Il a mis le doigt
dans l'engrenage, et les parutions vont se succéder.
Gérard Alle partage désormais sa vie entre l’écriture
de romans, de livres documentaires et d’articles de presse pour
divers magazines et journaux, comme ArMen, Villages, ou Bretagne Magazine,
la rédaction du trimestriel Pages de Bretagne, ainsi que l’animation
d’ateliers d’écriture, et la réalisation de films documentaires, l'écriture de scénarios. Il a quitté la Bretagne
centrale pour vivre à Douarnenez, port de pêche privé
de pêcheurs, qui a gardé le goût de la fête
et de l’échange avec les autres cultures. Il y a rejoint
sa compagne, Caroline, directrice du Festival de cinéma de la
ville. En 1998 et 1999 sont nées leurs filles, Loeiza et Azilis.