« Le Gérard, je l’ai rencontré dans les environs de Mellionnec, vous savez, ce bled du centre Bretagne où les néo-ruraux ont pris le pouvoir, où était concocté Nekepell, la célèbre feuille de chou qui, justement, essayait d’envoyer dans les choux tous les autres organes de presse de la Pensée Unique Bretonne, où les Ours du Scorff hibernent et où on met des habits kaki aux poules pour faire fuir les renards.




Autoportrait

  Il écrivait déjà beaucoup, certain que sa position géographique, au carrefour de trois départements de mensuration 22/29/56, lui donnait le droit, l’occasion et l’acuité du regard. Ce qu’il continue à faire, dans des organes plus conséquents, gardant l’essentiel de sa plume vacharde et précise pour défendre, faire découvrir et connaître une région, dans tous les sens du terme, bouleversée.

Un Papou dans les sardines

  Ayant arpenté le moindre chemin creux des Montagnes Noires (du moins ceux qui restent), ayant essuyé les comptoirs de tous les rades du terroir (il en reste quand même pas mal), connaissant parfaitement les tenants et aboutissants de la schizophrénie agricole locale, et ayant creusé le chaudron culturel dont est sortie l’agitation que l’on connaît aujourd’hui (celui qui n’a pas vu la fanfare du Radjasthan au marché de Rostrenen n’a rien vu), il s’est rapproché du furieux Atlantique, et s’est installé, contre vents et marées, à Douarnenez, ville célèbre pour mélanger les Papous et autres Maoris avec les sardiniers. Ce n’est pas trahir. Pour lui, en Bretagne, partout, il y aura toujours un vieux pour témoigner, un prolo pour analyser le boulot, ou un zazou sardinologue pour expliquer pourquoi la célèbre boîte, pourvu qu’elle soit périmée, sauvera le monde.

Du chouchen, pas du lisier !

  Il collecte. Il décortique. Pour cela, on l’aime bien. Mais il condamne ou utopise, et là, certains ne l’aiment plus autant. Dans la masse de tous ses mots, il garde tout de même une place pour la littérature populaire dont il triture les codes pour y imposer le regard de celui qui ne veut pas que son coin se nitratise à mort et que l’on continue à prier Sainte Thérèse de Lisier. Pour éviter que la mémoire ouvrière et paysanne disparaisse dans les musées de l’ethnographie et que les cagnas post-modernes des touristes et nouveaux-riches bousillent le littoral. Et pour garder l’espoir d’un changement. Toute une agressivité sous-jacente cachée par la tendresse de quelqu’un ayant longtemps fait son chouchen lui-même.

Douceur rêveuse et violence contenue

  Sous la grande carcasse bougonne, ce n’est pas qu’un réactif. Quand je le vois, que je suis à côté de lui, je me sens tout petit (réellement, c’est une masse), et je réalise à chaque fois qu’il ressemble à un homme de la Renaissance. Un mélange de chef de guerre et de poète, un condensé de douceur rêveuse et de violence contenue, vous savez, un de ceux qui lèvent leur large coude pour soit boire un coup rageur, soit peindre un chef d’œuvre de délicatesse.
  Bref, on trouvera que j’en fais trop.
  Mais comment ne pas être éternellement reconnaissant à un homme qui, un vendredi soir, très tard, m’a amené à Ty-Pikouz, un rade enfoui dans la lande près de Saint-Nicodème, pour écouter les répétitions du groupe mythique du coin, Hyper Klunk, moyenne d’âge 50 balais de sorcière. Cette nuit-là, j’étais pratiquement seul à écouter des types presque inconnus, que, à côté, David Bowie, c’est du kouign amann pas frais. »

Jean-Bernard Pouy



J.B. Pouy par Paul Bloas

 











 

 

 

 

 

 

 



 

 

 



Très jeune, il s'intéresse à l'écologie et à la culture des légumes bio.

 

 


En 1997, Gérard Alle s'était tiré en Inde, histoire d'échapper à l'hebdomadaire Nekepell qui lui bouffait tout son temps...
Dessin Alain GOUTAL.


Gérard Alle est né entre Noël et le premier de l’an 1953, à Bègles, dans la banlieue de Bordeaux. L’accouchement a lieu à la maison, chez les grands-parents paternels, Auvergnats d’origine, qui communiquent le plus souvent en langue d’Oc, “pour que le petit ne comprenne pas”. Sa mère est native de Spézet, en Bretagne intérieure. Sa langue maternelle est le breton, mais elle parlera français à son fils.

L’influence de Perrine
Dès son plus jeune âge, Gérard passe ses grandes vacances à Spézet, chez la grand-mère maternelle, Marie-Perrine Diraison, qui ne parle que le breton. Fille de conteur, paysanne pauvre, contrainte à servir dans les fermes, cette petite femme énergique porte la coiffe du Poher, chante et raconte de formidables histoires qui frappent l’imaginaire de l’enfant. Fils unique, Gérard s’invente quantité de camarades de jeu virtuels, héros d’aventures extravagantes. À l’âge de quatre ans, il passe son temps debout sur une chaise, à regarder les arbres au bout de la ville, par la fenêtre du huitième étage de la caserne des pompiers de Bordeaux, où travaille son père. À sa mère, qui lui demande ce qu’il observe ainsi, il répond sans hésiter : “la Bretagne...” Sa religion est faite. Dès sa majorité, en 1973, il rejoindra Spézet. Il habite d’abord Menez-Kamm, manoir mythique où la Bretagne invente sa première révolution culturelle. C’est l’époque d’Alan Stivell, de l’essor des festoù-noz, des rencontres innombrables, des revendications politiques et écologistes, l’effervescence des années soixante-dix, le retour à la terre.

Tous les métiers
Reçu à un concours de contrôleur des Postes (après avoir été facteur à Bordeaux), il s’apprête à partir pour Paris, passage obligé. Mais la voiture refuse de démarrer. Et le décide à rester. La passion pour l’écriture est déjà forte. Gérard lit beaucoup jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans. Il ne s’exprime par écrit que dans l’intimité de quelques poèmes ou relations épistolaires, des ébauches de romans. Car le désir premier est de vivre dans ce rude pays du Centre-Bretagne, où l’on ne fait pas toujours ce que l’on veut, mais qui attire les utopistes, dégage une identité très puissante, et distille des moments d’intensité totalement surréalistes. Pour cela, Gérard Alle est prêt à tout. Il sera tour à tour représentant en cheminées, dessinateur de fusains qu’il vend sur les marchés, docker sur le port de Concarneau, travailleur clandestin dans le bâtiment, ouvrier saisonnier pour le ramassage des betteraves dans le Nord, céramiste, pizzaiolo, restaurateur, et enfin boulanger. Il construit un four à pain et devient le premier en Basse Bretagne à fabriquer du pain biologique cuit au feu de bois. L’écriture reste en filigrane, par l’accumulation d’impressions, à travers tous les mondes, les métiers explorés. Il a également remarqué que ses lettres bien torchées lui permettent souvent de rattraper les filles, quand elles veulent le quitter. Quelque chose à creuser. Les moments forts entrent en mémoire, se racontent et se patinent, dans l’attente d’une ouverture. Un jour, il écrira des livres ; il n’en doute pas...

Le théâtre
La boulangerie laisse pas mal de temps libre. Gérard Alle en profite pour faire du théâtre. En amateur, d’abord, puis en professionnel. En 1991, il abandonne définitivement le pain, pour monter des spectacles, animer des ateliers, mettre en scène. Une douzaine de spectacles verront le jour, dont l’opéra-vélodrame “L’Émir de Langoëlan”. Trois ans plus tôt, Gérard Alle avait signé la mise en scène du « Retour du Kaolmoc’h”, un canular gigantesque, réalisé avec la complicité de la fine fleur des musiciens bretons. Mais il se lassera du monde du spectacle, de la recherche de subventions, de l’aspect administratif, et de la difficulté à construire quelque chose de durable dans ce domaine, en milieu rural. Cependant, l’apprentissage de la construction du personnage, et de la dramaturgie, lui imposeront plus tard la présence de l’image et de l’action au cœur même de l’idée d’écriture. Les livres qu’il lit alors sont plutôt des essais et des livres d’histoire.

L’engagement
Suivent des années d’engagement dans la vie associative, et pour le développement du Centre-Bretagne. De Spézet, Gérard Alle est passé à Saint-Hernin, puis à Glomel, à Rostrenen, et enfin à Mellionnec, où il a acheté une maison avec Marie, sa compagne pendant vingt-deux ans, et est devenu conseiller municipal. Ras le bol du “yaka” ! Pour ne pas passer son temps à râler contre les élus, pour voir comment le pouvoir s’articule de l’intérieur, Gérard Alle s’investit. Au sein du Galcob (Groupe d’action local du Centre-Ouest-Bretagne), il crée une commission culturelle dont il devient le président, siégeant au Conseil d’administration, en compagnie des conseillers généraux et des maires, imposant l’idée qu’une zone rurale comportant plus de cent mille habitants devrait pouvoir bénéficier des mêmes moyens de développement culturel qu’une ville de même importance. Décentralisation. Subsidiarité. Autonomie. L’Europe apporte des fonds. Et l’État français déçoit. La réflexion sur le développement local amène naturellement Gérard Alle à se poser la question de l’information, dans ce Centre-Bretagne divisé artificiellement entre trois départements. Avec un groupe de copains, il crée en 1996 l’hebdomadaire Nekepell, dont il est le rédacteur en chef. L’écriture devient son quotidien. Entre les articles et les éditoriaux qu’il rédige, plus la correction des copies des correspondants locaux, pas le temps de mollir. Il apprend à écrire vite. Désormais, il sait aussi pourquoi il écrit.

Du journal au roman
L’expérience du journal se termine en 1997, pour des raisons financières, mais aussi parce que certains le trouvent trop mordant. Il est vrai qu’un hebdo populiste, dirigé par le président du festival des Vieilles Charrues, futur maire de Carhaix, a raflé la clientèle. En Centre-Bretagne, les ambitions personnelles et le fatalisme ambiant ont gagné. Pour un temps. Jean-Bernard Pouy, l’écrivain de polars, le père du Poulpe, qui était lecteur de Nekepell, propose à Gérard Alle d’écrire un roman dans la collection Velours, qui se met en place aux éditions Baleine. Un roman d’amour social, pas à l’eau de rose, dans la veine du roman noir. Son rêve d'écriture se réalise enfin. Le bouquin est bien reçu, avec un coup de cœur dans Télérama. Il a mis le doigt dans l'engrenage, et les parutions vont se succéder.

Gérard Alle partage désormais sa vie entre l’écriture de romans, de livres documentaires et d’articles de presse pour divers magazines et journaux, comme ArMen, Villages, ou Bretagne Magazine, la rédaction du trimestriel Pages de Bretagne, ainsi que l’animation d’ateliers d’écriture, et la réalisation de films documentaires, l'écriture de scénarios. Il a quitté la Bretagne centrale pour vivre à Douarnenez, port de pêche privé de pêcheurs, qui a gardé le goût de la fête et de l’échange avec les autres cultures. Il y a rejoint sa compagne, Caroline, directrice du Festival de cinéma de la ville. En 1998 et 1999 sont nées leurs filles, Loeiza et Azilis.

 





Interview au cours de Paroles d'artistes, le 31 mai 2007, à Pontaven :


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